Savon de Marseille, palme-olive?

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Sur les nuisances de l’huile de palme, tout à été dit ou presque, et la cause est entendue. Principal grief, la déforestation. Il suffit de taper quelques mots clés pour avoir en effet, « chaud » dans le dos: forêt vierge de Bornéo qui se réduit comme peau de chagrin, ravages sur la biodiversité, incendies etc…

Déforestation depuis 1950 à Bornéo (nopalm.org) Déforestation par brûlis à Sumatra (wordwildlife.org)

Haro sur l’huile malfaisante donc, et bravo à toute huile de substitution! L’olive en l’occurrence, puisque c’est de savon de Marseille qu’il est question ici, pas de biscuits… Nous avions nous même participé à ce boycott il y a deux ans, en sortant de notre assortiment tous nos savons de Marseille « palme », au profit des « olive ».

Mais les choses sont-elles toujours aussi simple que cela? Nous n’avons pas pu nous empêcher de creuser un peu…

Savon de Marseille et déforestation?

Juste pour fixer les idées, rappelons que 19% de la production d’huile de palme dans le monde sont destinés à l’industrie cosmétique, 80% à l’industrie agro-alimentaire, et 1% aux bio-carburants (Wikipédia). Des chiffres qui datent un peu, mais surtout qui méritent d’être affinés par zone géographique. Si l’on s’en tient à l’Europe, en 2015, nous avions plutôt 42% pour le food (en baisse), 37% pour les bio-carburants (en hausse), 11% pour les combustibles industriels (burning), 7% pour le « feed » (animaux) et… 3% seulement pour toute l’oléochimie (lubrifiants, bougies, cosmétiques…). En zoomant encore plus serré (source trademap.org), les importations françaises d’huile de palme se montaient à 380000t en 2016, soit moins de 0.6% des 65 M° t produites mondialement.

Stats 2015 en milliers t Stats 2015 en milliers t

On estime par ailleurs à un peu plus de 30000 t/an la production de savons de Marseille en France (source planetoscope.com), dont une partie seulement en palme, le reste étant en olive ou en mélange, et 28% (par définition un vrai « Marseille » doit être composé de 72% d’acide gras, c’est à dire d’huile saponifiée) de soude ou d’eau. Grosso modo, on peut estimer la consommation d’huile de palme pour le savon de Marseille produit en France à une bonne dizaine de milliers de tonnes, soit une quote-part d’environ 3% de nos importations.

Mais se contenter uniquement de l’argument de « dilution de responsabilité » serait un peu court. Voyons aussi du côté de l’histoire et de la géographie.

La palmier à huile est en fait d’origine africaine (Elaeis guineensis, de « Guinée » donc, un terme qui à l’époque englobait toute l’Afrique de l’Ouest). Il a fallu attendre les années 1830 pour que les planteurs Hollandais le transplantent en Indonésie, et les Anglais en Malaisie, les années 1900 pour qu’ils commencent à l’exploiter, les années 60 pour que la demande en huile asiatique se développe et les années 90 pour que la déforestation fasse sentir ses effets dévastateurs. Dans le même temps les savonniers marseillais connaissaient un destin exactement inverse. Après un pic de production en 1913, ils baissèrent le rideau les uns après les autres, ne laissant plus de nos jours, qu’une poignée de rescapés, regroupés pour les « vrais de vrais » dans l’Union des Professionnels du Savon de Marseille (UPSM). L’asynchronisme des deux phénomènes est tel qu’on ne voit pas comment on peut sérieusement incriminer notre bon vieux savon de Marseille dans ce qui se passe aujourd’hui à Bornéo.

La déforestation en Indonésie et en Malaisie est le fait récent (1990) de nouveaux acteurs (agro alimentaire, bio-carburants, cosmétique, etc…) dont la fringale d’hectares décrédibilise par ricochet d’autres filières plus traditionnelles qui utilisaient jusque là de l’huile de palme sans que ça pose problème.

Alors, est-il juste que le savon de Marseille, dont l’huile de palme est un composant traditionnel depuis plus d’un siècle, soit maintenant jeté avec l’eau du bain de la « guerre du Nutella » et amalgamé aux aberrations du biodiesel?  Les jusqu’au-boutistes argumenteront qu’il ne saurait y avoir d’exception, fusse pour une cause légitime ou accessoire. Admettons. Mais si on va par là, stigmatisons également le tofu, sous prétexte que le soja, quand il n’est pas génétiquement modifié, se pose un peu là, lui aussi, question déforestation…

S’avancer sur la pente très savonneuse de la défense d’une « exception culturelle » pour le savon de Marseille « palme » est d’autant plus compliquée, qu’il existe une alternative parée de toutes les vertus, l’huile d’olive.

L’huile d’olive , en fait…

 

Ah, l’huile d’olive…!

A peine a t’on prononcé le mot que déjà l’on entend le kss-kss des cigales. Et en plus, elle est verte, la couleur de l’espoir et de l’écologie! En comparaison, l’huile de palme fait bien pâle figure (comme en atteste la couleur du savon). Le match est plié!

Voire.

Alors, désolé d’écorner un peu le mythe enchanteur du rameau d’olivier parfois dessiné sur les emballages, mais ce n’est pas Jean de Florette qui vient livrer son huile vierge à la porte des savonneries. Disons plutôt… un gros camion plein d’huile de « grignons ». L’huile de grignons ?

En gastronome averti, vous savez qu’en dehors de l’huile d’olive « vierge extra première pression à froid », il n’y a point de salut. Bien. S’il y a « première pression à froid », vous vous doutez bien qu’ensuite, ça se gâte un tantinet… deuxième pression, voire plus, et/ou chauffage pour augmenter le rendement. D’un véritable délice au début, on passe vite au « tout venant » et on finit par le « bizarre ». Eh bien les grignons, c’est ce qui vient après le « bizarre ». Un granulat de pulpe desséchée et de noyaux concassés, mais qui contient encore de l’huile, 10% environ. Et comme on est déjà au bout du bout des traitements mécaniques conventionnels, pas d’autre solution que d’appeler la chimie à la rescousse. Attention, on s’accroche: aplatissage en gâteau de pression , cuisson, solubilisation de l’huile par percolation au solvant (hexane le plus souvent), distillation de l’huile par évaporation du solvant… 97% de rendement (pas mal) et un distillat qui est concrètement bien de l’huile d’olive, mais tellement acide et chargé en composés indésirables qu’il faut encore le raffiner pour le rendre exploitable.

grignon d’olive (cicr.blog.lemonde.fr) distillation de l’huile au solvant (wikimedia.org)

Pas de panique! Bien raffinée, l’huile de grignons reste même théoriquement comestible, les solvants sont totalement évaporés, mais ses qualités gustatives sont si médiocres qu’elle rarement utilisée en culinaire. En revanche, aucun souci pour la savonnerie. C’est même de notre point de vue une excellente chose que ce résidu puisse être ainsi recyclé. En ces temps de pénurie d’huile d’olive (le monde entier veut adopter le fameux régime « crétois », alors que des parasites dévastent les oliveraies italiennes), il est bon de savoir que la savonnerie à l’huile de grignons ne vient pas siphonner les stocks d’huile d’olive alimentaire. Nos savonniers marseillais s’imposent en outre un cahier des charges très strict. Chaque lot d’HBG (huile brute de grignons) est scrupuleusement contrôlé.

Juste un mot sur la provenance de cette substance. Les producteurs d’huile d’olive français étant spécialisés dans le haut de gamme, leurs exploitations sont trop petites pour intéresser les transformateurs de grignons. On a compris plus haut que le process nécessite une grosse installation et il faut que « ça dépote ». C’est donc plus au sud que ça se passe: Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Turquie, Maghreb. Toute l’huile de grignon est importée.

 

Et, pour terminer …

L’huile d’un savon de Marseille « olive »… n’est pas 100% olive! Il y a toujours au moins 25 à 30% d’autre chose, dans le meilleur des cas de l’huile de coprah (coco), mais aussi parfois, je vous le donne en mille… de l’huile de palme. L’ huile 100% olive saponifiée présente en effet deux petits inconvénients pour les fabricants: la texture du savon se tient moins bien, ça ne mousse pas beaucoup, et ça a tendance à rancir dans le temps. Du moins avec l’outil industriel qu’ils utilisent aujourd’hui, hérité de l’époque « palme » et pas vraiment optimisé pour traiter du 100% olive. Le meilleur compromis fût donc d’accepter un peu de coprah dans l’huile d’olive à hauteur de 30%. Le savon se tient alors mieux, mousse parfaitement, et continue de s’appeler « olive ». Malgré tout, en utilisation « copeaux » pour la lessive, les morceaux ont encore tendance à s’agglomérer, alors que les paillettes resteront bien sèches en Marseille « palme ».

Pour être complet, et rendre à César, ce qui est à Marius et à Fanny, sachez qu’il existe quelques artisans qui fabriquent « à l’ancienne », du savon de Marseille 100% huile d’olive (de grignons) et parfois même avec de la vraie huile d’olive vierge. Non contraints par un outil industriel préexistant, et utilisant des process différents, ils arrivent à produire des savons bien secs, qui « moussent » correctement, sans plus. Mais, ce n’est évidemment pas le même prix. Du simple au triple, au bas mot.

Tout choix est une erreur…

 

 

D’un côté la version « palme ». Discrète odeur de « propre » (on aime ou on aime pas), texture ferme et homogène, belles paillettes pour les copeaux de lessive. Revers de la médaille: c’est fait avec… de l’huile de palme. La profession, unanime, préférât donc l’appeler « végétal »…

De l’autre la version « olive ». Ecologique en diable. Mais le diable, c’est bien connu se niche souvent dans les détails: huile d’olive de grignons extraite chimiquement au solvant, un parfum plus fort (on aime ou on aime pas…), mélange avec 30% de coprah. Et comme pour des parts de société, avec 30%, en dessous de la minorité de blocage, on a pas voix au chapitre… La profession unanime, décidât donc de continuer d’appeler ce savon « olive »…

cube de savon de Marseille végétal (palme) cube de savon de Marseille olive (70% olive – 30% coprah)

Ou enfin, pour ceux qui répugnent à utiliser une huile issue d’un procédé chimique, du savon à l’huile d’olive vierge et bio, de qualité comparable à une huile d’olive de table (il y a tout de même un peu de coprah en plus dans le savon). Sur fond de pénurie d’huile d’olive, entre une lessive ou une salade de tomates, ici, il faut choisir…

savon bio (olive 1ère pression et coprah)

Désolés d’avoir un peu noirci le tableau. Qu’on ne s’y trompe pas, nous ne sommes ni « palmo-sceptiques », ni « anti olive », mais cette mise en perspective des choses permettra, espérons-le, de se départir de toute la fantasmagorie et des réflexes pavloviens qui entourent le savon de Marseille, pour qu’il apparaisse tel qu’il est vraiment: imparfait certes, mais le meilleur compromis possible en matière d’hygiène domestique et corporelle:

  • bon marché, 8€ le kg environ dans la version « boite de 6x400g » que nous proposons
  • fabriqué en France, à Marseille même pour ceux de notre sélection.
  • multi-usage: toilette, ménage, lessive, détachant, répulsif, anti-crampes, etc…
  • respectueux de l’environnement dans ses effluents (pas de phosphates dans l’eau savonneuse)
  • respectueux de l’environnement dans son conditionnement (pas de flacons, vrac ou emballage carton réduit)
  • respectueux de l’environnement dans sa logistique (très compact, peu d’eau contenue transportée inutilement)
  • hypo-allergénique (pas d’additifs chimiques, paraben, etc…)
  • aucun intrant issu de la pétrochimie (colorants, parfums).

 

Alors « végétal » ou « olive », chacun choisira son camp. Landmade vous propose les deux. La « détergence » n’en restant pas moins une nécessité de la vie courante, il faut bien, par la force des choses assumer a minima quelques inconvénients, et se concentrer sur la vraie question: comment limiter au maximum sa consommation?

Quel rapport névrotique entretenons-nous en effet avec la propreté ? Doit-on se savonner de la tête aux pieds à chaque douche ? Une cuisine doit-elle être aseptisée comme un bloc opératoire? Quelle fréquence pour changer le linge? etc… moins de savon, c’est aussi moins d’eau, moins d’électricité, et plus de temps libre…

un savon de Marseille bien sec dure longtemps le savon de Marseille est proposé en boite de 6 cubes

Quel rapport compulsif avons-nous également avec nos achats? La société de consommation à un clic du chronodrive… Moyennant quoi, un savon tout neuf remplacera le précédent « en flux tendu » sur l’évier. Tout neuf, c’est à dire tout juste sorti de fabrication et encore frais. Il dépose une pellicule deux à trois plus épaisse que nécessaire à chaque usage et fond comme un glaçon dans la moindre flaque d’eau… Disponible en gros conditionnement, le savon de Marseille s’achète au contraire à l’avance (il faut une mentalité d’écureuil), se pré-débite en cubes, et se laisse sécher plusieurs mois. Ratatiné et crevassé, il aura certes moins fière allure mais durera deux fois plus longtemps.

Voilà qui fera plus pour l’avenir de l’Orang Outang et de la tapenade réunis, que n’importe quel faux procès.

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